Xavier Bernard, né le 28 septembre 1873 est un mécène peu connu en agriculture. Loin des regards médiatiques et des honneurs politiques, homme d’action et pragmatique, il a mené une vie originale, aventureuse faisant de lui un visionnaire pour l’agriculture et le développement agricole.
Une origine modeste et une passion de la terre : cadet d’une famille nombreuse paysanne, il doit quitter l’école à 9 ans pour devenir berger et ouvrier agricole.
Il monte à Paris à 22 ans. Il redresse et développe une entreprise de semences. Passionné d’agriculture, de biologie et de recherche, il devient une référence dans le métier. Il acquiert l’entreprise à 36 ans.
Prospecteur de graines et d’idées, il parcourt l’Europe du Nord à l’Est, le Maroc, le Canada et les USA, entre 1904 et 1917.
Il promeut l’agriculture française dans le monde et découvre des pratiques et stratégies innovantes. Il acquiert et défriche 3500 ha au Maroc et achète 560 ha en France dans le Poitou. Il sélectionne en France, cultive les semences au Maroc, et développe de nouvelles techniques de culture.
Une rigueur, une distance masquent une humanité profondément enracinée.
Par son legs et sa Fondation, il poursuit son oeuvre et accompagne le développement et les dynamiques
des territoires ruraux.
Xavier Bernard fut un passionné de la terre et de l’agriculture.
Je suis bien ici à voir pousser mes blés, à me promener de bonne heure le matin dans les champs, c’est là que j’éprouve mes plus grandes joies.
Jardinier et ouvrier agricole, il en connait la pratique et les exigences. À Paris, il se forme en approfondissant des ouvrages de biologie et par l’écoute des pratiques de ses clients. Semencier autodidacte, il devient biologiste et généticien, cherchant le lien entre ses connaissances théoriques livresques et son expérience. Il conduit deux passions : expérimenter et chercher chez les autres l’innovation et la connaissance.
On ne doit jamais laisser passer une occasion de perfectionner nos méthodes de travail… La ténacité dans l’effort ne vaut que si l’effort est bien dirigé.
Sans renier ses origines modestes (« J’ai horreur des cérémonies et les mondanités m’exaspèrent »), il collabore avec tous les milieux sociaux : il peut travailler avec le Maréchal Lyautey et traverser le Maroc, accompagné d’un indigène, avec 2 mulets et une tente. Logeant dans les bleds ou participant à des diffas (repas traditionnels), il a su, par sa modestie et ses origines rurales, acquérir la confiance de la population marocaine.
Quand il accepte les médailles et les articles de journaux, c’est pour mettre en avant des causes qui lui tiennent à cœur : la progression de son entreprise de semences, les résultats de ses expérimentations et la défense de ses œuvres (écoles et Instituts de recherche).
Néanmoins, il n’a pas résisté à construire à Saint Sauvant (son village natal) une grande maison bourgeoise, de style XVIIIème avec un plafond peint par un artiste parisien et un blason fantaisiste. Affirmation d’une réussite sociale ou plaisir artistique ?
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Il quitte son village à 22 ans et devient ouvrier dans une maison de grains à Rochefort sur Mer. A 24 ans, il « monte » à Paris sans piste ou recommandation particulières. Après quelques travaux saisonniers, il obtient un poste de vendeur dans un magasin de graines 19 rue de Viarme à Paris (près de la Bourse de Commerce). A 26 ans, il en est le principal vendeur.
Dès le début de sa carrière de vendeur, il interroge les clients, fait le lien entre leurs questions et ses expériences de cultivateur ou de jardinier familial. Dormant peu, curieux de tout, il emmagasine des expériences, acquiert une rigueur scientifique qu’il met en œuvre dans des principes de tri, de classement et de conservation des graines.
Sensible à l’organisation de l’entreprise, il repère rapidement les dysfonctionnements et propose des améliorations à son employeur. Conquis, le propriétaire lui confie les responsabilités de la recherche et de la commercialisation. A 36 ans Xavier Bernard reprend à la veuve du propriétaire l’entreprise désormais reconnue au niveau parisien et national. Il crée une 2ème structure logistique à Ivry sur Seine en 1952 et conserve l’ensemble jusqu’à sa mort.
La qualité et reconnaissance de son entreprise sont attestées par des récompenses internationales (médaille d’or à Londres en 1912, à Gand en 1913, à Lyon en 1914 et à San Francisco lors de l’exposition universelle).
Il fait preuve d’efficacité et d’organisation en toute circonstance. Le ministère de l’agriculture en France, profitant de sa présence à San Francisco en 1915 lui demande d’organiser le stand agricole français pour l’exposition universelle. En pleine guerre, il fait venir des produits français et au-delà des conflits promeut l’agriculture française en Amérique. Il reconduit l’expérience l’année suivante pour l’exposition de San Diégo aux USA.
Lyautey, impressionné par sa capacité à gérer l’exposition de Casablanca en 1915, lui demande de prospecter et de définir les potentiels des sols et de l’agriculture sur les zones de Casablanca, Meknès et Marrakech. En quelques mois, associé à un savant géologue Louis Emile GENTIL, il parcourt le Maroc et rend le travail à son commanditaire.
Entre 1904 et 1912, (pour assurer la qualité d’approvisionnement de ses semences et supprimer les intermédiaires), il parcourt l’Europe : Allemagne, Europe du Nord et de l’Est. Chaque voyage, ou expérience est l’occasion « d’élargir ses horizons » et de découvrir des systèmes et méthodes différentes. Il « acquiert la mentalité européenne ». Sa méconnaissance des langues et l’absence de repères ne peuvent freiner sa soif de connaître. C’est le premier voyageur « Erasmus » du Poitou.
Au début de 1914, Xavier Bernard pressent le début des conflits, il décide de partir pour un continent à l’abri des perturbations politiques européennes. Pour sécuriser son approvisionnement hors de l’empire austro hongrois, il visite et prospecte au Québec, traverse le Canada d’Est en Ouest, les montagnes rocheuses et descend la côte ouest des Etats Unis jusqu’au Mexique. Il parcourt plus de 12000 kms en 6 mois ! Il profite de ce voyage pour découvrir des systèmes d’exploitation agricoles variés. Il approfondit l’irrigation en Californie, découvre une exploitation viticole maitrisant l’Amont et l’Aval de sa production. Il visite les constructeurs de tracteurs aux USA et rencontre Mr Ford. Il construit sa philosophie entrepreneuriale : le développement et l’innovation au service de tous.
Le rôle des affaires est de produire en vue de la consommation et non en vue de la spéculation !
En 1915, en plein conflit maritime, il retourne par bateau aux Etats Unis parce que le gouvernement français lui a demandé de représenter la France et le Maroc à l’exposition de San Diego. Quand il conclut que ce continent est trop éloigné pour sécuriser ses approvisionnements, il choisit le Maroc.
Aventureux curieux, il a ancré son audace dans une expérience quasi mystique quand, simple vendeur et depuis peu de temps à Paris, il parcourait des champs de semence en région parisienne:
Ce dimanche-là, j’ai été saisi par une poussée d’ambition, par un désir irrésistible d’aller de l’avant et d’agir avec audace… Je sentais en moi comme un potentiel d’énergie qui voulait s’employer ; comme une aspiration impérieuse qui m’ordonnait de faire quelque chose de mieux que ce que j’avais fait jusqu’alors.
Le désir de construire et de progresser alimente son énergie. Améliorer les semences et développer l’agriculture donne sens à sa vie.
C’est un paysan qui aime travailler la terre.
J’aimais à entendre les craquements des racines de palmiers, des lentisques…et je passais des heures délicieuses à suivre les premiers labours tout en aidant à la mise au point des charrues.
Pétri par son expérience de semencier à la recherche du progrès génétique, il conçoit l’exploitation comme un lieu de production et d’expérimentation. Il veut, à l’image de grandes fermes vues aux USA, maitriser l’aval de l’agriculture.
Comment harmoniser cette pluralité de missions données à l’agriculture ?
La France étouffe dans le régime de la trop petite propriété… ce n’est pas de quelques boisselées de terre que peuvent naître les initiatives fécondes.
Il achète 560 ha en France (dans la Vienne) et 4 domaines au Maroc.
Il met 4 ans à défricher ses terres et utilise des moyens modernes (tracteurs, silos, forge, irrigation…) et les adapte au climat. Il importe de France et d’Inde des géniteurs pour améliorer les races animales locales.
Ça m’amuse de les mettre (mes terres) en valeur.
Ses méthodes portent des fruits au Maroc (20 Qx/ ha en blé contre 18 en moyenne en France et 2900 ha de semences de pois chez lui et par contrats avec d’autres producteurs marocains).En France, par sélection et emploi d’intrants, il obtient des résultats comparables aux terres de Beauce et de Brie (35 Qx de moyenne).
Ces choix visionnaires et ces réussites contribuent à créer une image de « colon » chez certains cultivateurs de sa commune, malgré le désir de Xavier Bernard de partager ses connaissances.
La relation avec ses contemporains est complexe. Perçu par certains habitants comme un colon, il construit au Maroc un management paternaliste accompagné d’une humanité et d’un respect profond pour ses collaborateurs et salariés.
J’ai eu de bons collaborateurs et j’ai toujours pensé qu’en me sacrifiant leur jeunesse, leur intelligence, ils acquéraient des droits à ma reconnaissance.
Il employait entre 300 et 700 salariés indigènes dans ses domaines.
Il était exigeant avec tous (contremaîtres français ou salariés) mais suite à une sécheresse dans le sud, il a accueilli et nourri des centaines de gens. Il a créé des écoles où sont enseignés le Coran et l’arabe, formé les employés marocains à la conduite des machines et construit des maisons pour ses salariés. Les coutumes locales étaient respectées et favorisées (le souk, la prière, les fêtes…) Les salaires versés étaient au-dessus de la moyenne (en France et au Maroc). Les modalités d’appropriation de ses terres au Maroc font débat : contrairement à certains colons, il a acheté ses terres sans aide financière de la France à des propriétaires locaux. Considérés comme friches, les prix d’achat sont néanmoins très bas.
Reconnaissant le travail de ses associés, il lègue à sa mort son magasin parisien au directeur et aux salariés. Il confie à sa femme la direction de son entreprise pendant ses absences
Il n’est pas bavard et a horreur des parlottes. Il a des responsabilités professionnelles mais ce n’est pas un homme politique. Vivant simplement (nourriture et habillement), il étouffe dans les salons. À Saint Sauvant, il n’a pas ménagé les investissements (mares, pompes villageoises, salle des fêtes…). Il organise et finance une fête des moissons très fréquentée (5000 personnes). Mais il n’a jamais pu être maire. Il disait
Nul n’est prophète dans son pays
Son caractère (il est distant, souvent froid), sa religion (catholique dans une commune protestante) et sa fortune au Maroc créent des suspicions. Enfant du pays, d’un père très pauvre, il est devenu le propriétaire du Château qui a réussi aux colonies.
Le magasin de graines fut une réussite économique et commerciale. Sur ses terres en France et au Maroc, il obtient des résultats supérieurs aux moyennes de ces pays. Xavier Bernard voulait prouver que le progrès technique et de nouvelles méthodes de culture augmentent les résultats techniques et économiques. En quoi est- il visionnaire ?
Il est à la fois précurseur des lois Debré-Pisani (la révolution agricole des années 1960) et celui qui les met en place dans le Poitou. Dès 1930, il utilise les intrants de manière raisonnée, crée ses propres essais, approfondit ses rotations. Il crée des synergies (entre ses domaines, entre élevage et culture) pour ne pas dépendre de l’extérieur. Parallèlement aux essais, il crée une collection de patrimoine génétique à partir de variétés existantes et étrangères. Il participe à la création des structures collectives agricoles nécessaires au développement rural (Mutualité Sociale Agricole, Crédit Agricole….). Il sera Président de la Chambre d’Agriculture de la Vienne avant, pendant et après la 2ème guerre mondiale. Il crée, avec d’autres agriculteurs la coopérative céréalière de Ceaux en Couhé et les Assurances Mutuelles de l’Ouest à Niort.
Tout en participant à la mise en œuvre collective du développement agricole, il a une obsession : faire partager les résultats de ses expérimentations variétales. En bordure de route, pour une meilleure visibilité, il multiplie et diversifie ses essais (450 variétés sur 6 ha en 1936). Il y présente de nombreuses cultures et variétés adaptées au territoire.
Chaque année il organise et finance la présentation des résultats sous forme d’une journée technique populaire, aidé d’enseignants et de techniciens agricoles.
Dès 1945, il va imaginer son dernier projet : transmettre sa philosophie du développement agricole. Tout d’abord, il aura à cœur de ne pas « casser « la réussite de ses structures en léguant ses outils à ceux qui en ont assuré la continuité. Il lègue son magasin parisien au Directeur et aux salariés, un de ses domaines marocains à son gestionnaire.
Ayant émis l’idée que sa maison (le Château) puisse devenir une lieu de retraite pour les agriculteurs, la Fondation la vendra, après sa mort, à la commune de SAINT-SAUVANT (à un prix privilégié). C’est aujourd’hui la bibliothèque municipale.
Xavier Bernard a organisé sa succession. Dès 1944, il assure et structure sa transmission en constituant avec des amis une association qui sera légataire universel de sa fortune. Elle devient en 1948 La Fondation Xavier Bernard. Il définit 3 idées directrices.
En 1945 il fait don à l’Etat marocain de son domaine de Fedhala (700 ha) près de Casablanca pour créer la ferme expérimentale Xavier Bernard intégrant un Centre de multiplication et une école agricole. La première promotion est accueillie en 1951.
En 1943, il fait don au Ministère de l’Agriculture français de 110 ha sur son domaine de Venours, pour construire une école régionale d’agriculture qui ouvrira en école saisonnière dès 1945 avec 63 élèves. Le domaine devait également réaliser des essais en culture.
Parallèlement, à partir de 1956, 205 ha de son domaine sont loués à des prix avantageux à l’INRA pour y créer trois unités de recherche en plantes fourragères et une station d’élevage (moutons, vaches et chèvres) afin d’étudier l’utilisation des plantes fourragères en alimentation animale.
En 1950 il crée des bourses de stage pour que des élèves de Venours aillent se former dans l’école Xavier Bernard au Maroc. Il associe son attachement au Maroc à son désir de développer l’esprit de recherche et de curiosité chez les jeunes. En 1951, il consacre 554 000 francs pour des bourses destinées à financer les études agricoles de 953 élèves « nécessiteux ».
En 1956, il crée le concours des prix culturaux (ou prix agricoles) pour récompenser des projets innovants, des améliorations ou progrès agricoles sur la Vienne puis sur les Deux Sèvres. Destinés à des familles de cultivateurs, 350 000 anciens francs par an étaient consacrés à ces prix.
En 1952, Xavier Bernard entre à l’Académie d’Agriculture de France (société savante regroupant des « sommités » en agriculture), et finance chaque année des prix scientifiques de technique agricole et d’économie rurale pour récompenser les meilleurs travaux ou études susceptibles de contribuer au développement du progrès agricole.
La Fondation Xavier Bernard poursuit l’œuvre de ce fondateur visionnaire et constructif. Dans ses actions pour le monde rural, elle cherche à garder ce regard novateur pragmatique . Elle respecte sa passion de la recherche, l’importance de la vulgarisation et son désir d’ouvrir les jeunes à l’innovation et à la découverte.